La présence du lierre
La présence du lierre (Hedera helix) dans les parois rocheuses
Avant-propos.
Dans nos régions tempérées le lierre est une des espèces des plus répandues et fait l’objet d’un débat permanent. Considérée comme nuisible par certains, plante utile pour d’autres, il m’a paru intéressant de faire le point des connaissances sur cette espèce et d’en tirer des conclusions quant à l’influence de sa présence sur la biodiversité des parois rocheuses.
A-Structure et chorologie
I- Croissance de l’espèce.
La croissance du lierre est complexe et fait intervenir plusieurs programmes génétiques différents. D’après certains auteurs l'ancêtre serait probablement d'origine tropicale, ce qui explique en partie que sa croissance soit stimulée par des étés chauds et humides.
Pour la facilité nous considèrerons deux phases distinctes caractérisées par l’inversion du phénomène de phototropisme.
-Une première phase dite stade végétatif où nous observons une phyllotaxie alterne et des feuilles entières .La croissance sera purement horizontale, elle débute par la germination de la graine qui se trouve sur le sol (cette germination ne s’effectue que dans l’obscurité, les graines de Hedera helix sont en effet à photosensibilité négative.).
Une fois formée la tige va croitre en longueur et s’orienter à la recherche de l’ombre (phototropisme négatif) et de l’agent qui fait ombrage - arbre - mur – parois rocheuse …
Durant cette phase où la photosynthèse est réduite, les éléments nutritifs vont surtout provenir des racines. Dans les sous-bois les différents pieds de lierre forment alors souvent un tapis dense. La tige va rapidement croitre et l’activation des auxines va favoriser la formation de racines adventives qui permettent à la plante de se multiplier.
En haut,racine principale..Puis de gauche à droite,racines adventives,entre noeud, méristème primaire-
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-Deuxième phase de croissance. Elle débute lorsque la tige horizontale rencontre une surface verticale favorable. Un nouveau programme de développement va alors être initié.
Le lierre est désormais attiré par la lumière (phototropisme positif) et va rechercher la verticalité. Ce stade dit reproductif voit apparaitre d’importantes modifications ; la phyllotaxie devient spiralée et les feuilles sont lobées .Nous remarquerons également que d’un phytomère (L’ensemble de l’entre-nœud, nœud, bougeons axillaire et feuille est l’élément de base appelé « phytomère ») à l’autre, les entre-nœuds peuvent être plus ou moins longs et les bourgeons auxiliaires plus ou moins développés.
Les radicelles ne vont plus se transformer en racines, elles prolifèrent et s’agglomèrent en lignes serrées.
Leur forme se modifie pour devenir des crampons. Ceux-ci vont développer une importante pilosité. Ce sont ces poils pourvus de vésicules contenant une matière adhésive formés de nano- grains, mélange de polysaccharides, de protéines, de calcium, qui vont s’insinuer dans les fissures et permettre au lierre d’adhérer aux parois.
C’est également durant ce stade qu’apparaitront les rameaux fertiles. Ceux-ci sont caractérisés par un angle de divergence des feuilles de plus ou moins 137,5°angle d’or ou angle de Fibonacci (Leonardo Fibonacci mathématicien italien 1170-1250)
II- Floraison.
Hedera helix fait partie des plantes de « jours courts » appelées aussi nyctipériodique.
La floraison de nombreuses plantes dépend de la perception du signal nuit/jour, jour/ nuit et de l’intervalle entre les deux signaux.
Pour le lierre cette période se situe entre septembre et octobre .Cette floraison tardive va permettre d’attirer les butineurs et Guêpes d’automne.
III- Toxicité de l’espèce
Liane arbustive à feuilles persistantes de la famille des Araliacées cette plante très répandue
contient plusieurs substances toxiques.
Au niveau des feuilles fraiches nous trouvons des saponosides triterpéniques pentacycliques appelés également hédérasaponine, des bidesmosides dérivés de l’acide oléanolique, de l’héderagénine et de la bayogénine. Ce sont ces saponines qui firent qu’autrefois les feuilles furent utilisées comme produit pour la lessive.
En ce qui concerne les fruits et tiges nous trouvons des saponosides et des polyines très allergisantes.
Toute la plante contient de l’hédérine toxique. Il faut noter que les fruits (drupes) sont très toxiques, Deux à trois baies consommées peuvent provoquer chez un enfant des troubles digestifs (nausées, vomissements, diarrhées) et à plus forte dose cela peut conduire à une vraie intoxication grave. Chez les animaux domestiques, les mammifères semblent sensibles à ces baies et ne les consomment pas à cause de leur amertume ; parmi les oiseaux, on connaît des cas d’intoxications de poules après la consommation de fruits. Par contre le pigeon ramier ne semble pas incommodé.
IV- Le lierre plante mellifère intéressante ?
Sa floraison tardive en fait en principe une plante très intéressante pour les insectes. Malheureusement vu son importante teneur en glucose, ce pollen de fin de saison a la propriété de faire cristalliser rapidement le miel qui présente alors des cristaux grossiers que les butineuses auront du mal à utiliser dans le cas d’un hiver sec. En effet il deviendra alors indispensable de disposer d’eau en suffisance pour que les abeilles puissent dissoudre ces cristaux au moyen de leurs glandes salivaires.
V-Dispersion des graines, le phénomène d’endozoochorie.
Il s’agit de la dispersion des graines dans les animaux. Du point de vue toxicité, la pulpe des drupes vertes contient des glycosides cyanogéniques dont la quantité décroit au fur et à mesure de la maturation, elle contient un flavonoïde toxique, la rutine connue pour diminuer l’appétit et une saponine (hédéragénine). . Certains oiseaux en hiver se nourrissent de la pulpe des fruits matures. La légère toxicité de la pulpe va alors faire office de laxatif et activer l’expulsion des graines avant qu’elles ne soient digérées.
A ce stade il est intéressant de s’intéresser aux disperseurs de ces graines.
En Angleterre un couple des naturalistes les Snow a effectué plus de 2000 observations de terrain concernant des oiseaux en train de manger les baies du lierre. Ce travail remarquable sert de référence en la matière. Nous trouvons le classement suivant :
Merle noir -Turdus merula- Turdidés- 40%
Grive musicienne Turdus philomelos-Turdidés 17,7%
Etourneau sansonnet-Sturnus vulgaris-Oriolidés 13%
Grive Mauvis-Turdus mauvis-Turdidés- 7,8%
Fauvette à tête noire-Sylvia atricapilla-Sylviidés- 6%
Grive Draine-Turdus viscivorus- Turdidés 5,5%
Grive Litorne-Turdus pilaris –Turdidés-5%
Rouge Gorge-Erithacus rubecula-Turdidés- 3,5%
On constate que les turdidés (grives, merles et rouge-gorge) sédentaires ou hivernants (grives mauvis et litornes) dominent largement, la période maximale de consommation observée en Angleterre se situant en avril mais, selon la rudesse de l’hiver (les épisodes neigeux poussent les oiseaux vers cette ressource), et selon les dates de maturation des fruits, ce maxima peut varier beaucoup d’un pays à l’autre. Nous constatons également que les Columbidés ne sont pas présents sur cette liste, or nous avons remarqué que le pigeon ramier Colomba palumbus consommait régulièrement et en abondance ces baies.
Le phénomène d’endozoochorie permet une large dispersion des graines loin du pied initial.
Voilà pourquoi le lierre parvient à s’implanter dans des endroits aussi inaccessibles que les parois rocheuses. Mais pourquoi y en a-t-il autant ? Ceci s’explique par une caractéristique génétique qui fait que d’un pied à l’autre les lierres ne fleurissent pas en même temps, parfois avec deux mois de décalage. La production des fruits est donc décalée dans le temps ce qui favorise la dispersion..
VI-Le lierre parasite?
Le lierre n’est pas à proprement parler un parasite de l’arbre hôte. En effet les crampons ne servent que de point d’attache.
Par contre il existe une relation de compétition évidente pour l’accès aux ressources, à savoir l’accès à la lumière.
Sur un arbre envahi par le lierre, la réduction de la production de glucides par photosynthèse a pour résultat une croissance en hauteur de l’arbre qui mobilise le restant de ses ressources pour rechercher la lumière, cela au détriment de la croissance en épaisseur du tronc et du système racinaire.
Nous avons effectué d’intéressantes observations dans une parcelle boisée située dans le site Natura 2000 de la vallée de l’Argentine.
Depuis plusieurs années nous constations régulièrement la chute d’arbres envahis par le lierre, alors que des espèces similaires ne sont pas concernées. La régularité de ces incidents, qui avaient toujours lieu en période hivernale par grand vent, nous suggère l’explication suivante :
Après la chute des feuilles l’effet protecteur de la lisière est fortement réduit, en même temps l’arbre envahi par le lierre espèce à feuillage permanent présente à ce moment une prise au vent importante. Cela combiné à une fragilisation, conséquence d’une photosynthèse perturbée, expliquerait ces chutes régulières.
B -L’altération des parois rocheuses carbonatées.
Tout d’abord nous définirons l’érosion comme étant l’ensemble des phénomènes naturels qui contribuent à la modification d’un relief.
En ce qui concerne les principaux agents d’érosion nous retiendrons :
-L’eau, qui est l'agent d'érosion le plus commun, elle use le relief par décomposition, ruissellement.
-Le vent ou érosion éolienne, qui est le principal facteur d'érosion en milieu désertique.
-Le gelde l'eau contenue dans les fentes des rochers.
Dans nos régions la dégradation naturelle des surfaces rocheuses est le résultat de deux causes principales.
-1/ La décomposition chimique
Il s’agit des effets de dissolution, d'oxydation, d’hydrolyse provoqués par la réaction des acides produits par les plantes.
2 /La désagrégation mécanique
Elle résulte de la dislocation de la roche sous l’effet de contraintes d'origine diverses:
-L’action mécanique des forces endogènes (fractures et failles, plissements).
-L’ alternance de l'insolation des roches au cours de la journée et du refroidissement nocturne avec pour résultat l’écaillage des roches.
-Le gel de l’eau contenue dans les failles, fissures.
-Les vibrations causées par la proximité de routes et de voies de chemin de fer.
I-Le rôle du lierre dans le processus de décomposition chimique des rochers.
Dans les roches sédimentaires carbonatées de Belgique il existe deux termes extrêmes, l'un le calcaire pur, formé essentiellement de calcite CaCO3, l'autre la dolomie, formée de dolomite Ca, Mg(CO3)2. Entre les deux, dans la nature, il existe tous les intermédiaires, c'est à dire des calcaires plus ou moins fortement dolomitiques. Il faut noter que la dolomie doit nécessairement contenir au moins 50% de dolomite.
Lors des opérations de réhabilitation des sites rocheux nous avons observé après l’élimination de la couverture végétale des parois couvertes par le lierre, la présence d’une fine couche de poussière blanche. Cette poudre blanche ne fait pas effervescence à l’acide chlorhydrique N/10.Mise en solution elle ne réagit pas au chlorure de baryum (contrôle de la présence éventuelle de sulfates). Nous pouvions donc en déduire qu’il s’agit de dolomie obtenue par érosion différentielle du mélange calcite (CaCO3) et dolomite (Ca, Mg(CO3)2, Un examen visuel de la roche concernée révèle en effet la présence de zones superficielles poreuses fragiles qui favorisent la désagrégation par le gel.
Cette décomposition chimique est le résultat d’une réaction de transformation bien connue du carbonate CaCO3 insoluble en bicarbonate soluble Ca(HCO3)2.
CO2+H2O+CaCO3 → Ca(HCO3)2 ↔ Ca2+ + 2HCO3- dans laquelle :
-Le gaz carbonique est fourni par la respiration nocturne de la couche végétale qui le concentre. En effet la nuit les végétaux chlorophylliens respirent. Ils absorbent du dioxygène et rejettent du dioxyde de carbone car il n'y a pas de photosynthèse.
-L’eau H2 O provient de l’humidité relative de l’air qui lors du refroidissement nocturne atteint le point de rosée, et du ruissèlement de l’eau de pluie.
-Le carbonate de calcium CaCO3 insoluble dans l’eau que l’on trouve sous sa forme cristallisée de calcite.
-Le bicarbonate de calcium Ca(HCO3)2 soluble dissocié en cation Ca2+ et anion 2HCO3- réaction réversible qui nécessite la présence d’eau.
II-Le rôle du lierre dans le processus de désagrégation mécanique des rochers.
C’est avant tout un rôle d’accélération du processus de dégradation des parois rocheuses. Au cours de sa phase de croissance verticale les rameaux vont très rapidement s’épaissir .Si le rameau s’est introduit dans une faille ou une fissure, la pression exercée par la rapide croissance en épaisseur va avoir un effet de dislocation latérale très important.
Cela peut avoir des conséquences graves dans le cas des filets de protection envahis par le lierre. Il apparait en effet que les contraintes exercées par la croissance de la végétation pourraient endommager les fixations du filet. De plus le contrôle visuel de ces attaches et de l’état de la paroi est rendu très compliqué par la couverture du lierre. Il nous semble donc impératif pour des raisons évidentes de sécurité, d’éliminer régulièrement le lierre des filets de protection.
C- Natura 2000-La présence du lierre dans les parois rocheuses de Wallonie.
Le Décret wallon relatif à la conservation des sites Natura 2000 ainsi que de la faune et de la flore sauvage est daté du 6 décembre 2001 et a été publié au Moniteur belge du 22 janvier 2002.Ce texte améliore profondément la loi de 1973 et ses diverses modifications successives. En Wallonie la plupart des parois rocheuses ont été incluses dans le projet européen Natura 2000 et sont considérées comme sites d’importance communautaire. Il est donc nécessaire que les habitats et écosystèmes concernés soient remis et maintenus dans un état de conservation favorable. Il parait donc évident que des parois envahies par le lierre ne correspondent pas à ces obligations européennes et que le lierre doit être éliminé dans la mesure du possible.
Dans ce contexte nous pouvons affirmer que les entretiens réguliers des parois effectués par les fédérations d’alpinisme comme le Club Alpin Belge, ont en éliminant le lierre un impact positif sur le maintien de la biodiversité. Il nous a fallu également constater au cours de cette étude que des parois rocheuses entretenues par les alpinistes sont actuellement les seules qui présentent un état de conservation favorable conforme aux décrets européens Natura 2000.
Guy Bungart.
Naturaliste
Juillet 2020
Bibliographie :
-Ministère de la Région Wallonne. Cahiers « Natura 2000 ».Habitats de l’annexe I de la « Directive Habitats » présents en Wallonie.
-Christian Fankhauser et Séverine Lorrain-Pour la Science N° 349.
-Dejonghe Léon et Jumeau Florence Les plus beaux rochers de Wallonie
-Louis-Marie Delescaille- La gestion des pelouses sèches en Région wallonne
-Duvigneaud, J., 1983- Quelques réflexions sur la protection et la gestion des pelouses calcaires.
-Déom Pierre- La Hulotte n° 106.
-J.F. Morot-Gaudry et Roger Prat- Biologie végétale.
-A. Obré- Sciences naturelle.
-A. Quintart-Natura 2000 en Wallonie, une importante amélioration en faveur de la nature.
- B. and D. Snow, T. and AD. Poyser- Birds and berries