Methode globale de restauration et de gestion des sites rocheux
Préambule.
Cela fait à peu près 20 ans que j’ai débuté la réhabilitation de pelouses calcaires sur le site de Freyr. En 2010 les pelouses sommitales des secteurs « Cinq Ânes » et Mérinos se trouvaient alors remises dans un état de conservation favorable. Membre du comité de gestion Natura 2000 des rochers du Néviau à Dave, j’ai pu y observer, en tant qu’observateur participant, les difficultés rencontrées par les gestionnaires responsables qui malgré bien des efforts ne parviennent pas à obtenir un quelconque résultat valable. .
La cause principale s’avère être un manque d’adaptation des responsables et des autorités qui s’obstinent, année après année, à utiliser une méthode qui manifestement ne donne aucun résultat.
2012-2016
2013-2016
2014-2016
2015-2016
Cette série de photos démontre le manque de résultat d’une gestion inappropriée. Les responsables ont persisté au cours des années, à ne pas vouloir revoir leurs méthodes de gestion, en ne tenant aucun compte des conseils des scientifiques de la commission de gestion et des mauvais résultats obtenus. Ce type de comportement appliquée sur un site Natura 2000 est très préjudiciable à la présence des habitats prioritaires et d’intérêts communautaires .Les poacées forestières qu’on a imprudemment laissé proliférer sont très difficile à éliminer et envahissent inexorablement année après années la zone péniblement et insuffisamment dégagée. .
C’est pourquoi j’ai synthétisé l’expérience acquise sur le terrain en une approche méthodique (PERT) de la gestion des sites rocheux, ceci afin d’obtenir rapidement des résultats durables.
Méthode globale de restauration et de gestion des sites rocheux Natura 2000.
A/Importance de la réhabilitation des pelouses sommitales.
Selon Vidal l’implantation et la germination des graines sont bien plus aléatoires sur un support vertical que sur une surface horizontale, la gravité jouant un rôle prépondérant dans la chorologie de nombreuses espèces. .
Il a été constaté que la plupart des espèces chasmophytiques se retrouvaient présentes dans les pelouses calcaires (Espèces du Festucion pallentis, et de l’Alysso-Sedion albi)
Prenons le cas de la restauration des espèces de l’habitat 8210 (pentes rocheuses calcaires avec végétation chasmophytique) il nous faut tout d’abord définir ce que l’on entend par végétation chasmophytique. .
Jean-Marie Géhu, dans son Dictionnaire de sociologie et synécologie végétales (Géhu, 2006), définit un « Chasmophyte » comme un « végétal lié aux falaises, aux rochers, dont les racines s’insèrent dans les fissures rocheuses et ayant des modalités d’adaptation physioécologiques à de faibles quantités de sol ». Dès lors, l’adjectif « chasmophytique » s’applique aux végétations constituées de Chasmophytes. Par exemple, les communautés des Asplenietea trichomanis.
Nous retiendrons également la classe des Parietarietea judaicae Rivas Mart, in RivasGoday 1964, non prise en compte par la Directive Habitat, dont des espèces peuvent se retrouver dans certaines conditions au niveau de parois naturelles plus ou moins intensément eutrophisées. Par exemple sur les sites de « Beez » et des « Grands Malades », où nous trouvons la Giroflée des murailles (Erysimum cheiri), et la Pariétaire (Parietaria judaica).
Dans la vallée de Meuse et certains de ses affluents les parois ont été colonisées depuis la nuit des temps par une végétation caractéristique appelée précédemment « Xerobrometum mosanum » qui se composait d’un mélange d’espèces qui appartiennent maintenant aux alliances du Festucion pallentis, Alysso Sedion albi ainsi qu’aux Groupements sur roches basiques à Rue des murailles (8210). .
Grâce à leurs surfaces horizontales les pelouses sommitales seront plus rapidement naturellement colonisées par les espèces intéressantes et constitueront un réservoir proche des parois verticales augmentant ainsi la probabilité d’une propagation sur les surfaces verticales. Elles devront donc être réhabilitées en priorité.
B/Réhabilitation des pelouses et parois-Méthodologie.
Principe de base.
Selon mon expérience de 18 années de gestion active sur le terrain, une réhabilitation comporte si l’on désire des résultats rapides, 5 phases indispensables. Chaque phase incluant des tâches spécifiques. Ces phases sont ici énumérées dans l’ordre chronologique d’application.
1-Protection
2-Préparation
3-Elimination
4-Restauration
5-Conservation
1. Phase de protection
Il a été constaté que les parois rocheuses verticales procurent de faibles ressources aux êtres vivants.
A cause de la forte pente, la quantité de fines naturellement accumulées au cours des temps est en effet très faible et fortement influencée par les phénomènes naturels (vent, pluie, fonte des neiges). .
Il y a donc très peu de possibilités qu’un support de substratum suffisant se forme facilement en dehors des fissures de la roche .Peu de substrat d’altération sont donc produits et la composition minérale du rocher est majoritairement responsable de la qualité des nutriments.
Lors de la classification des milieux, la différenciation des types d’habitats s’effectue d’ailleurs principalement suivant la nature du substrat (siliceux ou carbonaté). .
Or la fréquentation humaine n’a cessé d’augmenter sur les parois durant ces trois dernières décennies.
Il s’en est suivi une dégradation régulière et constante des habitats présents avec, en parallèle, une régression importante des espèces patrimoniales et d’intérêt communautaire. En ce qui concerne la végétation, là où subsiste encore suffisamment de substrat, les espèces intéressantes ont été progressivement remplacées par des espèces résistantes au piétinement. (Poacées, espèces envahissantes) .
Dix huit ans d’observations nous permettent maintenant d’avoir une vue réaliste des dégradations causées par la fréquentation humaine ainsi que des dégâts collatéraux engendrés par les diverses activités liées à cette fréquentation, (Phénomène d’anthropochorie, utilisation des poudres antidérapantes, polissage de la roche, pratiques d’escalade de salle utilisées avec surfréquentation excessive des parois, élimination sans discernement et quasi systématique de la végétation et du substrat lors des nettoyages et des peignages. .
Il faut constater que la mise en œuvre de mesures compensatoires exigées en compensation de l’autorisation d’escalade s’est avérée, hormis quelques exceptions, être un échec total.
Quelle est la cause de cet échec ? Principalement une surfréquentation en constante progression favorisée par un suréquipement permanent des parois, .
Il s’avère donc à l’heure actuelle, que l’état de conservation de la plupart des sites rocheux est devenu plus que préoccupant ; si pas catastrophique. Nous avons par exemple constaté sur certains sites que les plantes protégées (Festuca pallens, Sisymbrium austriacum, Lactuca perennis etc.…) étaient souvent arrachées ou déteriorées lors des opérations « d’entretien ». Il est donc devenu indispensable, afin de préserver la biodiversité et satisfaire aux engagements que la Belgique a acceptés dans le cadre du projet Natura 2000, de procéder d’urgence à une réhabilitation complète des sites les plus dégradés ainsi qu’à l’application stricte des mesures de protection prévues par les directives européennes (Guide de conseils méthodologique de l'article 6 § 3 et 4 de la directive 92/43 ) et les permis d’environnement ..
La phase de préparation comporte trois tâches.
1- Un état des lieux complet comportant :
a/Le relevé précis des espèces présentes sur le site.
b/L’état physique et biologique des parois rocheuses
c/L’état de l’éventuelle pelouse sommitale
d/L’état de stabilité physique des surfaces concernées par la gestion.
2- La formation du personnel.
Le personnel appelé à intervenir sur un site rocheux doit posséder trois qualités essentielles :
a/ Avoir de bonnes connaissances en botanique et en zoologie, ciblées sur les espèces et habitats concernés par le projet Natura 2000.Il est indispensable que les responsables aient préalablement pris connaissance de toute la littérature publiée sur le sujet.
b/Pouvoir évoluer à l’aise et assurer sa sécurité dans les parois rocheuses.
c /Etre convaincu de l’utilité du projet Natura 2000 ainsi que des travaux de gestion auxquels il participe.
3-La détermination des objectifs.
Il sera nécessaire d’établir un document d’objectif (DOCOB) qui comportera au minimum :
1- Une analyse décrivant l’état initial de conservation et la localisation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du site, les mesures réglementaires de protection qui y sont, le cas échéant applicables, ainsi que les activités humaines exercées sur le site, notamment les pratiques sportives et de loisir.
2-Les objectifs de développement durable du site destinés à assurer la conservation et s’il y a lieu, la restauration des habitats naturels et des espèces ainsi que la sauvegarde éventuelle des activités sportives qui s’exercent sur le site.
3- Des propositions de mesures de toute nature permettant d’atteindre ces objectifs .
4- Les procédures de suivi et d’évaluation des mesures proposées dans le cadre de l’état de conservation des habitats naturels et des espèces
3. Phase d’élimination
Les tâches de la phase élimination
1-Élimination des espèces grimpantes et envahissantes.
2-Élimination des ligneux.
3- Élimination des espèces forestières
4-Élimination des poacées (sauf espèces protégées)
5-Élimination des racines et des souches
6-Etrépage afin de réduire la couche de substrat à des valeurs favorables à la recolonisations par les espèces des habitats concernés (8210,6110).
La plupart des sites rocheux sont actuellement à un stade final de la série évolutive.
Cela a pour conséquence que la plupart des parois sont recouvertes par des espèces envahissantes (Lierre, clématite, ligneux, etc. …). Les pelouses sommitales sont quant à elles au stade forestier ou bien sévèrement embroussaillée.
Les diverses tâches devront se succéder rapidement afin de retrouver les conditions de sol équivalent à celui du stade initial de la série évolutive, ceci afin d’atteindre rapidement les objectifs fixés par le DOCOB et pouvoir accéder sans délais à la phase de restauration.
4. Phase de restauration. .
Selon Jacques Miège professeur à l’Université de Genève ,
« Les espèces possédant des exigences globales semblables ou voisines se réuniront. Mais dans le détail, les besoins ne sont pas identiques, les racines n'exploitant pas les mêmes horizons du profil pédologique ». .
Selon le célèbre phytosociologue Oberdorfer « La majorité des espèces ont des stations de prédilection et c’est là uniquement qu’elles atteignent leur optimum » .
C’est principalement ces principes de bases qui devront guider les interventions sur le terrain, cette phase qui est la plus délicate nécessite une bonne expérience pour faire les choix qui s’imposent. En effet dans une zone récemment étrépée où la concurrence a été éliminée, divers facteurs vont entrer en ligne de compte lors de l’implantation de nouvelles espèces : la proximité de la couverture forestière, la distance par rapport aux stations de plantes intéressantes, la position géographique du site par rapport à la chorologie particulière de certaines plantes et… le hasard. Cela veut dire que des espèces non désirées risquent également d’y trouver un terrain favorable. Elles peuvent donc proliférer et occuper rapidement des surfaces importantes. .
Les tâches de la phase restauration. .
1/Elimination des intrus en les déracinant et en prenant soin de le faire avant la production des graines.
2/Elimination et exportation de la litière de façon à maintenir une épaisseur de substrat optimum vis-à-vis des espèces ciblées. .
3/Elimination et exportation des fanes et des matières organiques. .
4/Favoriser la constitution de stations de façon à diminuer les effets liés aux phénomènes de compétition interspécifique .
Ces différentes tâches pourront être accomplies simultanément de façon à éviter la prolifération d’espèces non désirées.
5. Phase de conservation.
Une fois la mosaïque de station établie dans la pelouse et les parois il s’agira de maintenir le site dans un état de conservation favorable.
Les taches de la phase conservation.
Des opérations d’entretien effectuées plusieurs fois par an seront effectuées principalement pour :
1/Combattre le phénomène bien connu « d’ourlification des pelouses sommitales ».
Détails dans l'étude "L'ourlification des pelouses calcaires"
2/Etre attentif au phénomène d’anthropochorie dans le cas d’une fréquentation humaine des parois.
3/Eliminer des parois les Poacées (sauf celles qui sont protégées), les ligneux, les invasives.
4/Maintenir l’équilibre entre les stations surtout lorsqu’il s’agit d’espèces conquérantes, en pratiquant des tonsures ce qui va en plus favoriser la présence de thérophytes.
5/ Surveiller l’évolution des surfaces en faisant régulièrement des relevés d’espèces et des observations.
Pelouse en phase de restauration à Dave.(2012)
Pelouse en phase de conservation à Freyr (2009)
Guy Bungart Juin 2016